Une rêverie pluviale.
Je pars lundi, il me faut de la monnaie. Je dois faire du change, je pense que je vais aller à la gare du Nord. Je travaille ce week end donc je dois y aller aujourd'hui. Et je ne sais pas à quelle heure ça ferme. Là il pleut. Il est quelle heure là ? Ah, déja 17h... J'y vais, j'y vais pas ? J'y vais, j'y vais pas, j'y vais, j'y vais pas, J'Y VAIS !
Bon, alors là, je suis dehors, sous la pluie. Pfff, il flotte quand même ! Enfin, bon, ça va, ça avait l'air pire depuis la fenêtre. En plus, j'ai pas de vraie capuche (mais certains considereront mes cheveux comme un abri efficace). Mais ça va, il fait même pas froid. A vrai dire, il fait plutôt doux, elle est pas désagréable cette pluie. On m'arroserait avec un tuyau d'arrosage tiède que ça ferait pas de grande différence.
Oh et puis là, il y a le canal St Martin. Le traverser de ce temps, ça me fait sourire ! Il y a comme des airs de tempête mais le jour est très lumineux. L'eau est marron comme de la boue mais devient floue par les chocs des gouttes de pluie qui l'attaquent. Loin d'être calme, elle grouille, elle vibre et le vent dessine sur elle les ondes de vie qui la font rire. En tous cas, moi, ça y est : je souris !
Les rues sont Paris sous mes yeux. Je veux dire, je les apprécie comme telles : des morceaux de Paris : quelle chance de vivre à Paris et d'apprécier cette ville sous une pluie de printemps comme celle-ci. Les goutelettes aglutinées sur mes lunettes la rendent floue et donc un peu plus irréelle. Soudain, je vois deux parapluies devant moi qui se croisent sous un échafaudage : le passage est trop étroit alors pour ne pas se heurter, les deux s'inclinent simultanément dans leur direction comme dans une danse chorégraphiée.
Puis j'aide cette femme à sortir de la poste : "il pleut tellement que ça donne pas envie de sortir", me dit-elle. Mais non ! Je lui réponds que la pluie est légère et douce et bien sur, au moment où elle met un pas dehors, l'eau redouble d'intensité mais la femme a le sourire. "Bonne journée jeune homme !" m'adresse-t-elle en roulant les r de son accent discret.
Je traverse les rues et chacun des trottoirs m'apparaît comme une invitation à jouer Gene Kelly dans "Chantons sous la pluie". Classique, me direz-vous. Mais cette fois, sans l'amour, ni grande raison apparente, ce n'est pas juste la pluie mais la joie qu'elle provoque chez moi qui m'évoque ce numéro. J'ai juste envie de partager avec ces gens qui courrent, ces gens qui se cachent sous leurs parapluies mon amour pour cette eau qui tombe du ciel et rend tout ce trajet magique.
La je dépasse un abribus et un chien que la maîtresse retient à l'abri, essaie de boire l'eau du ciel dessous la vitre de verre, le museau collé au trottoir. Le chien, l'abribus, le trottoir. Tous ces détails sont à moi et rien qu'à moi, la vie de Paris s'offre à mon regard de spectateur itinérant.
Mes yeux aperçoivent la massive gare du Nord et les gens qui y courrent ne lèvent même pas les leurs. Quel cadeau de nos ancêtres que ces abris gigantesques, ornés de verreries et de scuptures. La pluie les fait briller, et ce toit révèle sa fonction première, celle de bouclier, sans en perdre ses qualités poétiques.
Une fois arrivé, je vais directement au bureau de change, plus la peine de m'attarder, l'ambiance de gare, ce n'est pas pour aujourd'hui, une seule envie : retourner sous la pluie ! Dégoulinant, je prends ma place dans la queue remplie de gens qui arrivent de l'Eurostar, secs. Quand mon tour arrive, je demande "environ soixante euros en dollars canadiens." Les billets dans les mains, quatre billets de 20, verts et longs, je comprends d'où vient la joie, d'où vient le regard, d'où vient les pas qui sautillent et les envies de danse : dans quatre jours, je serais au Canada !!
Ce sourire ne me quittera plus jusqu'à chez moi où je retire mes vêtements imbibés et me sèche les cheveux après une douche épatante.
Fin d'exploration.